Les examens oraux, cela se prépare. Et pas seulement en révisant la matière. Parler en public, parler à et pour un public – fut-il réduit à un professeur – exige une bonne dose de confiance en soi, et quelques compétences qui n’ont rien à voir avec l’étude. Faute d’en avoir conscience et de s’y préparer, certains élèves brillants échouent à l’oral. La preuve par Valentin.
Par Isabelle Philippon
Valentin (18,5 ans) est arrivé dans mon cabinet l’année passée, à la fin du mois de juillet. En 1ère année de Droit, il avait échoué à la plupart de ses examens oraux. Pourtant, Valentin est un élève plutôt brillant. Pas excessivement brillant non plus: il n’a pas le parcours de ces jeunes tellement doués qu’ils réussissent leurs humanités sans étudier, ou presque, et qui se retrouvent le bec dans l’eau à l’univ, sans méthode de travail et incapables, croient-ils, de se concentrer. Bref, Valentin affichait une scolarité sans embûche, en tout cas jusque-là.
Que lui était-il donc arrivé, durant la session de juin?
Parler en public lorsque celui-ci est jugé « hostile », ça paralyse
« Dès que j’entrais dans le bureau du prof, je le savais: le stress montait, me prenait à la gorge, me paralysait. C’était fichu. » Pourtant, ce n’était pas la première fois que Valentin passait des examens oraux : en humanités, du moins la dernière année, il en avait passés, et avec succès. Qu’est-ce qui était donc à l’oeuvre ici, qui l’empêchait de rassembler ses pensées, de trouver ses mots, et de les formuler de manière intelligible? Qu’est-ce qui l’empêchait de parler en public (un prof, c’est un public) à l’univ, alors qu’il s’en sortait à l’école?
La différence entre l’école et l’université réside évidemment dans la masse d’informations qu’il faut assimiler. Mais pas seulement. A l’école, les professeurs connaissent leurs élèves, et réciproquement. Ils s’aiment ou ne s’aiment pas, qu’importe : la plupart des élèves confrontés à un professeur jugé « vache » ou « antipathique » auront appris, en cours d’année, à dépasser leur timidité/leurs blocages/leur opposition vis-à-vis du prof en question, et à élaborer des stratégies pour répondre, finalement, à ses attentes. Ils arrivent ainsi à lui « servir » ce qu’il attend, à restituer ce qui signera leur réussite.
A l’univ, « usine à former », ce lien entre le professeur et l’élève n’existe pas, ou il est fort ténu. L’anonymat remplace l’affect. Du coup, quand l’élève entre dans le bureau où il passe son examen, il découvre la « personne » de l’examinateur. Certes, en bon étudiant, il l’aura déjà vu et entendu à de multiples reprises, ce prof, puisqu’il était assidu aux cours. Mais il ne connaît pas ce prof. Il n’a aucun lien affectif avec lui. Pas de langage commun, pas d’histoire relationnelle commune. Une page blanche, ou presque.
J’étais comme pétrifié : plus rien n’arrivait à mon cerveau
C’est cela qui paralysait Valentin. Le prof posait-il sa question avec une neutralité que Valentin associait à de la froideur? Angoisse. Haussait-il un sourcil alors que Valentin amorçait sa réponse, marque évidente, pour Valentin du moins, de son désaccord? Angoisse. Le prof regardait-il ailleurs que vers Valentin, marque évidente, pour Valentin du moins, de son désintérêt total? Angoisse. Le prof posait-il beaucoup de sous-questions, preuve évidente, pour Valentin du moins, de ce que l’élève était incomplet? Angoisse. Le prof esquissait-il un geste d’impatience alors que Valentin réfléchissait à la meilleure réponse possible, preuve manifeste, pour Valentin du moins, de l’incompétence de l’élève? Angoisse. Etc., etc.
C’est cela qui paralysait Valentin. Son décodeur tournait fou. Il décryptait mal les signaux envoyés par son interlocuteur. Il en tirait inconsciemment des conclusions erronées et… paralysantes pour lui.
Profs et élèves : deux galaxies différentes
Les profs d’univ sont peut-être de grands intellectuels, de remarquables savants, d’indéniables experts, mais cela fait rarement d’eux de grands communicants. Cela ne fait pas nécessairement d’eux des gens pleins de bienveillance pour leurs étudiants, ni des gens pleins de curiosité pour l’autre. Cela fait encore plus rarement d’eux des adultes modestes, prêts à dénicher dans les jeunes qui se trouvent devant eux une source rafraîchissante de savoir neuf, maladroit peut-être, d’intelligence en germe. Ces profs, ces savants, ces experts, sont plus habitués à délivrer leur cours du haut de leur – indéniable – savoir qu’à faire preuve d’empathie pour ce jeune assis devant eux, et dont le coeur bat la chamade.
La position de l’enseignant et celle de l’élève est, également, diamétralement différente. La période des examens, pour le prof, est synonyme d’ennui : poser les mêmes questions, écouter les mêmes réponses, les mêmes bêtises parfois, durant de longues heures, il y a plus excitant. Pour le jeune, c’est une période dont l’enjeu est important. Il s’agit de sa réussite. Et quand on a 20 ans, rater une année d’études, c’est (presque) perdre un an de sa vie. Pour relativiser l’enjeu, et pouvoir se retourner avec bienveillance et détachement sur ces années-là, il faut souvent avoir passé le cap de la trentaine, voire de la quarantaine. Sauf que quand on est soi-même parent, il devient de nouveau difficile de relativiser lorsque ses propres enfants galèrent à l’école ou à l’univ. Mais ça, c’est une autre histoire…
Régler son décodeur pour retrouver de la confiance en soi
Mais revenons à Valentin. Conscient que sa paralysie n’avait rien à voir avec le manque d’étude, mais bien avec des émotions parasites, des décodages perturbants des signaux émis par l’autre, Valentin a décidé de franchir la porte de mon cabinet pour s’affranchir de sa prison.
Nous avons d’abord travaillé sur ses prises de conscience : non, un haussement de sourcils ou d’épaule n’est pas nécessairement une marque de désaccord. Non, une main passée dans les cheveux ne signifie pas nécessairement que le prof s’impatiente. Non, un ton neutre n’est pas nécessairement une marque de froideur. Non, un regard posé ailleurs que sur l’élève qui parle ne veut pas nécessairement dire que le prof snobe l’élève. Etc., etc.
Nous décodons les signes émis par l’autre à notre façon. Et cette façon est étroitement liée aux émotions qui nous habitent. Avons-nous peur, nous sentons-nous fragilisés, peu sûrs de nous? Nous allons volontiers percevoir, chez l’autre, tous les signes qui nous donnent « raison ». Et ces signaux que nous croyons décrypter vont, à leur tour, renforcer la croyance que nous ne sommes pas à la hauteur. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que la machine s’enraie. Ce processus est très rapide : notre cerveau enregistre une multitude de signaux en quelques secondes, et puis les traduit tout aussi rapidement, et nos émotions se bousculent, annihilant nos pensées.
Prendre conscience de ce mécanisme permet, déjà, de prendre de la distance avec ces fameux signaux, de repérer le piège dans lequel il ne faut surtout pas tomber. Cela permet de récupérer un peu de confiance en soi, et de retrouver nos capacités à parler en public.
Jouer, improviser, pour gagner en confiance et maîtriser sa communication orale
Mais la prise de conscience, si elle est un préalable indispensable, ne suffit pas à avoir en toutes circonstances confiance en soi, ni à maîtriser parfaitement sa communication orale.
Pour faire mouche, pour intéresser le prof, encore faut-il parvenir à répondre sans détours à la question posée, et à ne pas se laisser influencer par une éventuelle antipathie, de « mauvaises ondes » toujours possible. Encore faut-il, aussi, accepter de ne pouvoir répondre à une question sans imaginer pour autant qu’on est fichu pour les autres. Encore faut-il passer au-dessus de la réputation d’un prof dont la supposée obsession est de « couler » ses élèves. Bref, il faut apprendre à structurer son message. A rester soi-même dans la bourrasque. A accueillir ses émotions sans s’en laisser submerger. A donner envie à l’autre d’en savoir plus. A maintenir son niveau d’énergie positive. A créer une forme d’intimité avec son interlocuteur.
Tout cela ne s' »apprend » pas. Tout cela se vit, par l’expérience. Et tout cela s’acquiert, en coaching notamment, lorsqu’on en a l’envie, la patience, l’enthousiasme. Cela s’acquiert par le jeu, l’impro, des exercices face caméra.
Valentin s’y est pris fin juillet, pour sa session d’examens de début septembre. Après avoir reçu ses bons résultats, il m’a envoyé ce message : « Bien sûr, je connaissais ma matière. Mais j’ai réussi à rester maître de ma communication, maître de mes pensées, maître de mes émotions. Je me suis mis dans l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, pendant les coachings : un état d’esprit de jeu, d’impro, qui rendait tout plus léger, moins dramatique. J’ai attribué aux profs qui m’interrogeaient une intention positive, et ce quels que soient les signaux qu’ils émettaient. Cela a changé la donne. Je suis resté confiant jusqu’au bout. Et j’ai réussi. »