Parfois, un parcours de formation s’impose à des travailleurs, surtout dans le secteur public. Pour le formateur comme pour les participants, cette situation est souvent peu excitante. Et pourtant, des choses surprenantes peuvent se produire. A condition de ne rien attendre et de se laisser surprendre.
Par Isabelle Philippon
« Former » des personnes qui sont amenées à s’inscrire à un parcours de formations simplement pour réussir des tests qui, en bout de course, leur permettront de monter de niveau et de gagner davantage, ce n’est sans doute pas le plus excitant dans la vie d’un formateur. Et pourtant…
J’ai vécu, la semaine qui vient de s’écouler, un – très – beau moment.
Au terme d’un parcours de quatre journées de formation aux « Techniques de management » destinée à des fonctionnaires, Christophe, l’un des participants, a fait le témoignage suivant pendant le tour de clôture : « Tu avais annoncé à l’entame de ces quatre journées de formation que tu avais pour seule ambition de nous inviter à nous ouvrir à des meilleurs possibles. J’étais très sceptique, et j’avais peur de perdre mon temps. Eh bien je me sens à présent plus ouvert. Je me suis laissé surprendre. Et c’est si bon, d’être surpris… »
Christophe faisait pourtant partie de ce que l’on appelle, dans le jargon, un « public captif ». Un public amené à se « former », non pas parce qu’il en éprouve le besoin ou l’envie, non pas parce que CETTE formation-là, et pas une autre, l’intéresse particulièrement, mais simplement parce que ce parcours s’impose à lui. Ce type de situation est souvent pénible pour le formateur ou la formatrice : comment, en effet, faire bouger les participants, les amener à prendre des risques, faire évoluer les lignes, en l’absence, chez eux, de demande et de motivation ?
Ne rien attendre et se laisser surprendre
Habituellement, je refuse ce genre de job. Là, j’avais accepté, pour diverses raisons. Mais j’avais décidé de ne surtout rien attendre. Je m’étais mise dans un état d’esprit de liberté totale. Je préfère le terme « non-attente » à celui de « lâcher-prise ». Dans le lâcher-prise, il est sous-entendu que l’on « tient » déjà quelque chose, auquel il faudrait renoncer. Tandis que si l’on n’attend rien, il n’y a rien à lâcher non plus : il suffit d’être présent à soi et aux autres, entièrement présent au moment, un peu comme lorsqu’on médite, sans se soucier de rien d’autre que d’être là.
Cette attitude-là m’a permis d’expérimenter une souplesse, une qualité de présence différente, aussi vis-à-vis de moi-même. Pas de « challenge », pas d’ « objectif ». J’étais simplement au service de ce qui se passerait entre les participants et moi, et entre les participants eux-mêmes. Dans l’humilité et l’abandon plutôt que dans la performance, dans laquelle mon tempérament et mon désir de « perfection » (laquelle n’existe pas, je sais) m’entraîne souvent.
C’était très nouveau pour moi, et cette démarche consciente a permis à du neuf d’apparaître.
« Heureux soient les fêlés car ils laissent passer la lumière. »
Il n’y a donc pas que Christophe et ses collègues qui ont pu se laisser surprendre par l’ouverture qui a trouvé son chemin en eux. L’expérience laissera des traces en moi également. Elle m’aura permis d’éprouver la justesse de cette phrase de Michel Audiard : « Heureux soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière. »
La définition de « fêlure » ne se limite pas à une fragilité psychologique ou à un irréductible penchant pour l’originalité. Elle signifie aussi l’ouverture, celle qui permet à la vie de circuler et aux clichés de s’effriter. A propos de clichés, tiens : ceux dans lesquels on enferme bien souvent les fonctionnaires me paraissent désormais bien stupides…